[Article LinkedIn] La Poste en 2100 : et si le dernier service public devenait le phare de notre démocratie ?
Cet article a initialement été publié le 26 avril 2024 sur ma page LinkedIn.
Imaginez. Nous sommes en 2100. Pendant des décennies, de nombreux services publics ont été dénaturés, vidés de leur sens premier au gré de réformes successives. Même des fonctions régaliennes comme la justice ou la défense ont été grignotées par l'imprégnation forcenée de logiques managériales privées, au nom d'une recherche d'efficacité comptable et de réduction des dépenses publiques.
Pourtant, dans ce paysage profondément délabré, une institution résiste encore et toujours, forte de sa légitimité historique et de son rôle séculaire de ciment social : La Poste. Protégée depuis 2018 par son statut de filiale de la Caisse des Dépôts, établissement public sous la tutelle du Parlement, elle incarne désormais l'un des derniers grands services publics à vocation réellement universelle. La Poste est devenue le dernier bastion des "communs" de la République.
Face aux tentatives répétées de dénaturation, un vaste mouvement citoyen de résistance s'est structuré dès 2099. Partout en France, des milliers de "comités de défense postaux" ont vu le jour, érigeant des barricades devant les bureaux de poste. À Paris, une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de tous milieux a investi pacifiquement le siège du groupe lors d'une mobilisation historique. Drapeaux républicains et banderoles "La Poste doit rester un service public" fleurissaient pour défendre ce patrimoine national.
C'est au travers de cette mise en garde dystopique que je souhaite interroger la place et le rôle essentiels que La Poste peut et doit prendre dans nos territoires, dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Il y a quelques semaines, j'ai regardé la formidable mini-série britannique "Mr Bates vs The Post Office", un condensé glaçant des dérives de l'imposition de logiques managériales privées dans un service public.
Produite par ITV et diffusée en janvier 2024, cette fiction inspirée de faits réels retrace le combat désespéré de M. Bates et de milliers de "sub-postmasters" (délégataires locaux) contre les errements de la société gérant les bureaux de poste au Royaume-Uni. À cause d'un système informatique défaillant qui leur a été imposé, des centaines d'entre eux ont été accusés à tort de malversations financières, poursuivis en justice, ruinés ou poussés au désespoir.
Après plus de dix ans d'un bras de fer judiciaire épique, ces victimes ont fini par obtenir gain de cause en 2019. Mais rien ne pourra effacer les drames humains et les vies brisées par ce scandale né d'une logique managériale défaillante. L'un des personnages centraux, Jo Hamilton (incarnée par Monica Dolan), tenait un modeste salon de thé en zone rurale abritant un bureau de poste de proximité. Poursuivie pour un prétendu détournement de fonds, elle fut soutenue par toute sa communauté villageoise, consciente du rôle vital de ce dernier lieu de lien social.
Cette série est un puissant rappel des dangers de la dénaturation aveugle des services publics, contraints d'appliquer des recettes managériales inadaptées. Elle démontre avec force l'importance vitale de préserver un modèle postal humain et ancré dans les territoires, tout en lui permettant de s'adapter avec intelligence aux défis contemporains et à venir. C'est ce défi qu'il nous faut désormais relever collectivement pour La Poste.
La fin d'une époque, les débuts d'une nouvelle ère
Certes, La Poste doit s'adapter : le courrier traditionnel connait une diminution drastique depuis des années, accélérée avec la pandémie de l'année 2020 (entre 2008 et 2020, les volumes de courrier avaient été divisés par 2,5) et pourrait hypothétiquement disparaître dans les années 2050, supplanté par les échanges numériques et les technologies d'impression 3D domestiques. Chaque ménage n'envoyait plus en moyenne que 5 lettres prioritaires par an en 2020, contre 45 en 2008. Malgré les plans de soutien publics, le service universel postal est devenu structurellement déficitaire dès 2020.
Mais face à ce défi existentiel, le groupe postal a su faire preuve de résilience et se réinventer en développant de nouvelles activités au service de la cohésion sociale et territoriale.
Banque territoriale tout d'abord, avec un maillage d'agences de proximité proposant des services financiers essentiels (microcrédit, épargne, assurances) aux populations des zones rurales et des quartiers populaires.
Opérateur de la "silver économie" ensuite, en coordonnant un ensemble de services à domicile pour les ainés (portage de repas, téléassistance, visites de lien social, etc.) grâce à son réseau de facteurs de proximité.
Acteur incontournable de l'inclusion numérique enfin, notamment en formant les publics éloignés aux usages du numérique et en hébergeant des espaces publics numériques en bureau de poste.
La Poste du 22e siècle a fait de la proximité humaine sa boussole, là où tant d'autres services essentiels se sont progressivement dématérialisés et automatisés.
La Poste, incarnation des valeurs de la République
Selon un sondage Ifop de 2021, 91% des Français considéraient La Poste comme une entreprise utile, au même titre qu'EDF (92%) ou la SNCF (88%). Car La Poste est bien plus qu'une entreprise ou un service public ordinaire. Depuis 1477, elle incarne au plus profond de nos territoires des valeurs universelles : l'égalité d'accès, la proximité, le lien social. Hier par le courrier, aujourd'hui à travers ses services de proximité essentiels aux plus fragiles (portage de repas, veille sanitaire et sociale, inclusion numérique,...), La Poste tisse la trame invisible de notre cohésion nationale.
Son réseau de facteurs, présents six jours sur sept jusque dans les zones les plus reculées, constitue un actif unique. Déjà en 2020, près de 70 000 facteurs assuraient la distribution du courrier et des colis sur tout le territoire, tout en proposant de plus en plus de services de proximité (visite aux seniors, portage de médicaments, collecte de déchets recyclables...). En 2100, les nouveaux services représentent leur cœur de métier, au service de la cohésion sociale et territoriale.
Vers de nouvelles agoras citoyennes ?
Et si cette crise était l'occasion de réinventer la promesse postale ? Les bureaux de poste pourraient devenir les nouvelles agoras du XXIe siècle. Non plus de simples guichets, mais de véritables maisons de services publics et citoyens, ancrés dans chaque bassin de vie. Ils combineraient des services administratifs, des activités socioculturelles et des espaces de réunion et de délibération pour les habitants.
Certains accueilleraient par exemple des guichets de services publics (Pôle emploi, CPAM, préfecture mobile), d'autres des activités d'éducation populaire (conférences, ateliers pratiques, cours de langues/numérique), d'autres encore des salles de réunion pour des assemblées de quartier. Ces "cases à palabres" du XXIe siècle permettraient de retisser le lien social et civique au plus près des citoyens.
Cela prolongerait des initiatives comme les Maisons France Services déployées dès 2020 ou les tiers-lieux associatifs, remettant les communs au cœur de la cité.
La Poste pourrait aussi devenir un laboratoire de l'innovation démocratique à partir de ce maillage territorial unique. Elle offrirait un cadre décentralisé d'expérimentation de la démocratie participative : consultations citoyennes, budgets participatifs, ateliers d'intelligence collective... Autant d'outils pour retisser le dialogue civique et rapprocher les territoires de l'action publique.
Le rôle de La Poste dans l'avenir des communs
Plus largement, la mobilisation autour de La Poste, telle qu'illustrée en 2009 par le succès de la votation citoyenne organisée contre sa privatisation (plus d'1 million de votes recensés, probablement plus proche des 2 millions), pose la question de la place des communs dans notre contrat social. À l'image des ressources naturelles, du patrimoine culturel ou des savoirs, certains biens doivent-ils échapper aux lois du marché pour être sanctuarisés, gérés collectivement dans l'intérêt de tous ?
De nouveaux "communs" ont ainsi émergé au 21e siècle : communs numériques (logiciels libres, données ouvertes), communs urbains (fonciers solidaires, habitats partagés), communs de la connaissance (licences libres, sciences citoyennes)... De nouvelles formes juridiques, à l'image des "sociétés à mission" expérimentées dès 2020, offrent un cadre pérenne pour concilier performance économique et intérêt général, préfigurant un nouveau capitalisme plus durable.
À l'heure de profondes mutations écologiques, numériques et démocratiques, la résilience de nos sociétés dépendra de notre capacité à préserver et réinventer nos biens communs. La Poste, par son histoire et son ancrage, a un rôle unique à jouer pour éclairer le chemin. Reste à écrire ensemble les prochaines pages de cette belle aventure collective !
Et vous, comment imaginez-vous le rôle de La Poste de demain ? Quel nouveau sens donner à ce service public si essentiel depuis 5 siècles ? Quelles activités développer ? Quelle gouvernance mettre en place pour incarner ces "communs" républicains ? Quelles formations pour les personnels ?
Réagissez, partagez vos idées ! #LaPoste #ServicePublic #ProximitéHumaine #DémocratieTerritoires
Si vous me découvrez avec ce post, je m'appelle Jean Roman-Samaké et je suis conseiller en communication stratégique et en affaires publiques. Fort de mes 12 ans d'expérience à l'Assemblée nationale, au sein du groupe Caisse des Dépôts et comme conseiller de dirigeants d'entreprises, je lance une série d'articles prospectifs en vue des prochaines échéances électorales (européennes de 2024, municipales de 2026, présidentielle et législatives de 2027), et au-delà.
Mon objectif ? Proposer des idées nouvelles et des solutions concrètes pour relever les défis de demain, en m'appuyant sur ma connaissance des institutions et des politiques publiques, et sans rejeter l'utopisme qui ouvre l'esprit à d'autres possibles.
Dans un avenir proche, je lancerai également une newsletter nommée "Above Politics", qui explorera de façon plus approfondie l'avenir de nos sociétés en reliant les points entre les personnes, événements, lieux et politiques clés. Restez à l'écoute pour son lancement !
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