La France a besoin d’une baby box
Cet article a d’abord été publié le 20 août 2021 sur ma page Medium.
Le 15 août dernier, cela faisait exactement 4 ans jour pour jour que l’Écosse a rejoint le club des pays distribuant des boîtes d’accueil à la naissance des bébés. J’ai été convaincu par cette initiative et je crois vraiment qu’elle peut être un atout majeur (pas suffisant !) à la fois dans la lutte pour l’égalité, mais aussi pour renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale.
Tirant son origine en Finlande, qui fait ce cadeau à chaque enfant qui naît dans le pays depuis 1938, il s’agit tout à la fois d’une mesure sociale et d’un symbole très puissant puisque c’est la collectivité qui offre un cadeau de bienvenue à celle ou celui qui sera un jour un citoyen ou une citoyenne de ce pays. Les chercheurs de l’Université Tampere de Finlande ont recensé plus de 90 programmes différents de boîtes de naissance, démontrant la diversité mais aussi la reconnaissance portée à cette politique et son utilité, tant pour les parents que pour les enfants.
Aussi j’ai été à la fois heureux, excité et ému lorsqu’en juillet dernier, nous avons reçu notre baby box, nous les nouveaux Écossais, Français de papier mais installés ici désormais. Gardant de fortes attaches, notamment professionnelles en France, j’ai pu constater à quel point l’approche de la naissance est différente entre les deux pays : médicalisée, administrative en France ; citoyenne et affective en Écosse.
Une boîte au service de l’égalité
Ce qui fait l’importance et la force de cette boîte à mes yeux est que tous les parents du pays, quelles que soient leurs conditions, reçoivent cette boîte qu’il faut simplement demander via un formulaire pré-timbré et donné à la future mère lors d’une visite de contrôle par la sage-femme.
C’est un signe fort que la communauté nationale accueille les nouveaux membres qui deviendront les citoyens de demain et leur donne à tous une chance de débuter avec un bagage commun. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle soit née dans un pays nordique, siège historique de la sociale-démocratie. Et qu’elle ait essaimé jusqu’en Écosse, où le gouvernement indépendantiste qui est à la tête de la nation depuis 2007 est imprégné de l’idéologie du nationalisme civique.
Elle est un symbole, mais pas seulement, car elle est aussi un outil essentiel de politique sociale et économique au service de tous. Elle permet de donner des outils aux parents et une reconnaissance à chaque enfant qui naît, quelle que soit la classe sociale ou l’origine de ses parents. Elle est un effort concret pour lutter contre la pauvreté infantile et si elle ne résoudra pas tous les problèmes, elle est un levier pertinent et efficace.
Mais qu’y a-t-il dans la baby box, me direz-vous ? Eh bien à peu près tout ce qui est nécessaire à un beau début de vie pour le nourrisson et aussi pour le bien-être de sa mère :
des vêtements (0–3 mois et 3–6 mois) : avec notamment des bodys, des pantalons, des vestes (en polaire avec de mignonnes petites oreilles), des pyjamas, des chaussettes, un bonnet et des moufles pour éviter les griffures, un bavoir.
un tapis de change, des couches, des limes à ongles, un thermomètre de bain/pièce, un thermomètre pour le bébé, un anneau pour se faire les dents, une serviette de bain, une éponge de bain, un bon pour commander gratuitement une couche lavable.
un tapis de jeu, des livres, un lien pour télécharger l’application (gratuite) de musique classique de l’orchestre national d’Écosse, et une reproduction format carte postale d’un tableau des National Galleries of Scotland, parce que oui le bien-être du bébé passe aussi par son éveil et la qualité de son environnement.
pour la mère, des serviettes hygiéniques pour les suites de couches, des coussinets pour l’allaitement et plusieurs boîtes de préservatifs, car il faut rappeler que contrairement à ce qui est souvent cru, l’allaitement n’est pas un contraceptif sûr. Et des dépliants (concrets) sur l’allaitement ou le portage du bébé grâce à l’écharpe de portage fournie dans la boîte.
la boîte elle-même enfin, qui est conçue pour pouvoir accueillir le bébé à ses débuts, avec un matelas, un drap, un protège-matelas et même une couverture légère, sans oublier un doudou pour le bébé, des carrés de mousseline.
J’y reviendrai un peu plus tard mais dans chaque boîte se trouve un élément éminemment symbolique : un poème “Welcome Wee One” (Bienvenue, tout petit”) écrit par Jackie Kay, qui était jusqu’à récemment Scots Makar, ou poétesse nationale d’Écosse. On pourra sans doute reparler une autre fois de l’importance de ce rôle honorifique.
Créer un sentiment de communauté ?
Cette boîte est aussi un outil fort et symbolique au service de la découverte et de l’accompagnement de la parentalité. Elle permet aux (futurs) parents de découvrir les besoins de leur (futur) enfant avant que la naissance ne survienne. Elle permet, sans jugement mais avec un acte concret de donner la possibilité aux futurs parents de s’interroger sur l’éducation de leur enfant : des aspects les plus prosaïques (comment habiller, soigner, laver son enfant) aux besoins de l’enfant en termes d’éveil et de sécurité émotionnelle, ou sur les bienfaits de la musique et de la lecture dès le plus jeune âge.
Pour la plupart d’entre nous, devenir parent est un moment puissant, bouleversant, parfois même déstabilisant, alors avoir le sentiment que l’on est accompagné, non seulement “techniquement”, mais aussi symboliquement dans ce long passage, me semble essentiel. Nous voilà parents, et cette responsabilité que l’on prend, cette boîte nous rappelle qu’elle sera un peu partagée par l’ensemble de la communauté, que nous contribuons à agrandir.
Un nouveau citoyen naît (ou une nouvelle citoyenne, oui !). Il sera éduqué par ses parents, instruit par l’école (publique), se forgera une identité au contact de ses concitoyens, camarades, amis, connaissances, mais finalement il partagera avec les autres citoyens des devoirs et des droits communs. Ce que l’on oublie trop souvent aujourd’hui : si l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, la société n’est, elle, que la composante d’individualités et son succès ne peut advenir que si chacun en a la volonté.
C’est ce que dit cette boîte (selon moi, je ne le lui ai pas demandé, je vous rassure !) : “bienvenue, nous t’aiderons à avancer, nous te soutiendrons, grandis bien et viens renforcer la communauté de tes compétences et qualités”. D’ailleurs, le poème qui est joint à cette boîte (et qui est déjà sous-verre dans la chambre de notre enfant à naître) ne dit pas autre chose : le bonheur d’accueillir un nouveau membre de la famille, une projection dans l’avenir et un espoir. Dr Mary Ross-Davie, directrice du Collège Royal des Sage-Femmes d’Écosse disait en 2017, au lancement de l’initiative : “Je lis ce poème comme un moyen de dire que ce bébé est accueilli par la communauté au sens large — que l’Écosse toute entière accueille ces bébés”
Quelles questions la baby box pose-t-elle ?
Le coût : la question du coût pour la collectivité est réelle. La baby box et son contenu sont évalués à environ £160 (soit environ 187€ à date).
L’universalité : lors de la dernière évaluation du dispositif, menée à la demande du Gouvernement écossais [rapport en anglais], des parents et personnels de santé interrogés ont relevé, parmi les pistes d’amélioration, la possibilité de limiter ou différencier la distribution et le contenu selon les revenus et selon s’il s’agit du premier enfant ou pas.
Ces deux questions sont particulièrement pertinentes en raison de la popularité exceptionnelle du dispositif (plus de 90% des ayant-droits en font la demande, alors qu’il faut envoyer un formulaire pour l’obtenir). Cela engendre un coût estimé en 2019 à plus de 8,7 millions de livres sterling annuels pour près de 50 000 boîtes envoyées.
Alors que le contrat pour les baby boxes devait être renouvelé en avril 2021, le Gouvernement n’a pas souhaité le changer et la boîte dans son intégralité continuera à être distribuée à tous les enfants nés en Écosse.
Le Gouvernement écossais assume ce choix pour plusieurs raisons :
Lutte contre la stigmatisation : distribuer la boîte à toutes les familles, quel que soit le nombre d’enfants ou les revenus des parents permet de concrétiser l’égalité et de limiter le stigmate (déjà relevé par les sage-femmes qui montrent que les familles les plus pauvres sont celles qui ont le plus de réticence à faire dormir leur enfant dans la boîte, pourtant prévue à cet effet (même si, parmi les 13% de parents qui n’avaient pas d’autre moyen de couchage, l’évaluation a montré que 69% utilisent la boîte pour faire dormir leur nouveau-né) ;
Éducation à la parentalité : l’évaluation menée par Ipsos MORI montre qu’une part non-négligeable des parents (37%) trouvent que les informations et objets contenus dans la boîte les ont aidés à mieux créer des liens avec leur enfant à travers le jeu, la lecture ou les échanges.
Lutte pour l’égalité : s’il est évident que nombreux sont les parents qui auraient eu les moyens de payer le contenu de la boîte, le coût pour la société est probablement neutralisé pour les plus hauts revenus par la progressivité des impôts sur le revenu. L’universalité de cette dépense (unique, pour chaque bébé et relativement restreinte) permet de couvrir le maximum de familles et de limiter l’obligation de “justifier” de difficultés financières. La boîte apporte des objets jugés essentiels par 76% des personnels de santé aux familles et il ne s’agit donc pas de “gaspillage” à proprement parler.
Vous l’aurez compris, cette politique me semble à même de répondre à de nombreuses questions posées à notre société et peut contribuer à améliorer la situation de nombreuses familles.
Elle pourrait être une vraie politique progressiste, en étant adaptée à la situation française et adossée aux nombreuses expériences différentes qui ont eu lieu de par le monde .
N’hésitez pas à partager cette idée avec vos proches et les candidats que vous soutenez et peut-être que nous aurons la chance d’en bénéficier collectivement en France prochainement !
Addendum : la France a annoncé le 7 octobre 2020 qu’elle commencerait la distribution de “BébéBox” à partir de février 2022, en commençant par les quartiers prioritaires et les zones de revitalisation rurale. Le principe accompagne la politique des “1000 premiers jours” pensés après le travail réalisé par Boris Cyrulnik. Le format sera franchement différent (pas de box à proprement parler, distribuées à la maternité) même si le marché public n’a pas encore été passé et le contenu n’est donc pas définitivement arrêté. Le coût de la politique publique reste encore tue à ce stade. Affaire à suivre donc…