Pourquoi est-ce si dur d’appliquer la loi ? L‘égalité dans un couple ne se construit pas toujours seulement à deux…
Cet article a d’abord été publié le 16 mars 2018 sur ma page Medium.
J’ai le bonheur immense d’avoir épousé la femme que j’aime en décembre 2017. Après trois ans de vie de couple, un nombre incalculable de discussions sur nos valeurs, nos ressemblances, nos différences, les éducations forcément diverses reçues et surtout, avoir tracé un semblant de sentier commun, nous avons franchi ce pas.
Je dois dire tout d’abord que, si pour beaucoup de personnes de notre âge le mariage est loin d’être une évidence, chacun d’entre nous deux avions une envie particulière de nous marier et de hurler au monde notre bonheur et d’officialiser tout cela par cet acte symbolique fort.
J’ai toujours été un fervent républicain, laïque, démocrate. D’aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours souhaité un jour pouvoir me marier si je trouvais la bonne personne (qui veuille autant m’épouser que moi je le voudrais). Quel bonheur alors, de célébrer notre union le 9 décembre dernier.
Malheureusement, tout n’est pas aussi simple et quelque chose me dit que cela ne fait que commencer. La préparation au mariage est tout sauf un simple symbole : dossier à remplir, préparation du grand jour, gestion des egos des uns et des autres, etc. Bref, le bonheur initial de s’approcher de ce moment si important est vite remplacé par la litanie des obligations en tous genres.
Grâce à nos discussions, beaucoup de patience et le travail fait en amont, nous avons eu beaucoup de chance et notre couple a plutôt bien traversé les turbulences liées aux demandes diverses et variées, souvent contradictoires, parfois carrément incongrues, de nos familles. Nous avons toujours su faire des compromis ou arriver au consensus, en parlant toujours, expliquant sans cesse nos choix et nos convictions.
Nous voici donc en ce magnifique jour d’hiver (et effectivement, il a eu beau pleuvoir à verse le lendemain et grêler la veille, il faisait un soleil époustouflant et un froid sec et glaçant ce jour-là !), à 10 heures à la mairie du 11e arrondissement.
Avoir rempli un gros dossier avant le mariage civil semble avoir été utile, à tel point que personne ne nous a demandé nos pièces d’identité le jour de la cérémonie… un oubli sans doute !
Nous avons eu le bonheur de nous dire “je le veux” entourés de nos amis et nos familles dans une belle salle des mariages comble, puis, après les échanges de vœux et d’alliances, avons reçu le certificat de mariage et le livret de famille.
Première observation : depuis la loi de 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, l’espace réservé à “époux” et “épouse” est vide et imprimé selon le mariage et c’est une très bonne chose.
Je vous passe les détails de la merveilleuse fête, durant laquelle nous avons pu célébrer avec nos proches notre mariage.
Quelques jours plus tard, nous avons reparlé d’une chose qui me tient particulièrement à cœur : depuis de longues années, sans que je n’arrive vraiment à remettre le doigt sur ce basculement, je souhaite porter le nom de mon épouse accolé au mien. J’ai toujours considéré le mariage comme une union de deux personnes égales et à ce titre, l’échange doit être équivalent autant que possible.
Je suis né Jean ROMAN, époux SAMAKE, je souhaite donc dans toutes les démarches de la vie courante être appelé Jean ROMAN-SAMAKE. Mais, car il y a souvent un “mais”, la pratique est plus complexe que la théorie.
Quelques jours après le mariage, hop, je saute le pas et commence le grand changement : Facebook, Twitter, Gmail. Voilà ! Je suis officiellement marié à la femme que j’aime et je le crie haut et fort ! Seulement, le mariage n’est pas aussi automatique que l’on pourrait le croire. Ni les administrations, ni les agents de l’Etat, ni a fortiori les institutions privées ne semblent être au courant de la possibilité donnée par l’article L.225–1 du code civil, créé en 2013, qui stipule :
“ Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit.”
Cet article comporte plusieurs nouveautés :
Il exprime le fait que CHACUN des époux peut porter le nom de l’autre époux (à titre d’usage, puisque l’on naît et meurt avec son nom patronymique) : j’aurais pu décider de m’appeler uniquement SAMAKE au quotidien, aussi bien, cas le plus courant pour des raisons coutumières que mon épouse s’appeler ROMAN ;
Chacun PEUT et ce n’est donc pas une obligation, a fortiori rappelons le, pour l’épouse ;
Le nom de l’époux peut venir se substituer mais aussi S’ADJOINDRE au nom de naissance : il est donc tout à fait possible de m’appeler ROMAN-SAMAKE ;
Enfin, détail qui n’en est pas un, l’adjonction peut s’effectuer DANS L’ORDRE QUE L’ON SOUHAITE : donc je peux m’appeler aussi bien ROMAN-SAMAKE que SAMAKE-ROMAN, et de même pour mon épouse.
J’ai pris le temps de décortiquer cet article car, au-delà du quotidien et de la vie “orale”, le port du nom est constitutif de notre identité. Abandonner à 30 ans ou presque un nom que l’on a toujours porté est une déchirure bien souvent (et l’avancement de l’âge du mariage augmente cette problématique).
En effet, pour un homme comme pour une femme, comment abandonner un nom lorsque notre carrière professionnelle peut avoir débuté ? Doit-on lier notre vie professionnelle à notre nom de famille ? Au risque de semer, de nouveau, le trouble lors d’un éventuel divorce ? Doit-on mêler, finalement, notre vie personnelle, privée, avec notre vie publique et professionnelle ? Et si seules les femmes changent de nom de famille, pourquoi seraient-elles les seules dont un patron pourrait connaître la vie privée, au risque d’engendrer des relations conflictuelles par la crainte d’une supposée grossesse à venir ou autre agression de ce type ?
On le voit, la problématique du nom de famille, dans notre société, n’est plus évidente, si elle ne l’a jamais été. Elle l’est d’autant moins que beaucoup d’acteurs publics et privés semblent avoir du mal à appliquer la loi simplement. Si celle-ci donne la possibilité à chacun des époux de porter les deux noms adjoints, ce que nous avons décidé de faire avec mon épouse, il n’est pas si simple de le faire entendre à nos interlocuteurs.
Ainsi, je serai systématiquement Monsieur ROMAN et mon épouse sera, au mieux Madame ROMAN-SAMAKE, sinon Madame ROMAN, voire Madame Jean ROMAN dans le pire des cas. Alors, ne parlons pas de l’idée qu’un HOMME puisse imaginer se défaire de sa virilité en s’abaissant à porter le nom de son épouse, même adjoint, non cela n’est imaginable pour personne…
Quant aux formulaires d’inscription, ils laissent souvent la place pour “Nom” et “Nom de jeune fille”. Autant dire que la pratique n’a pas encore complétement rejoint la théorie…
Et pourtant, nous ne demandons qu’à appliquer la loi !