[Article LinkedIn] Être bien à sa place : une réflexion sur le corps, les sièges et la démocratie

A gauche, une "fenêtre de réflexion" au Parlement écossais ; à droite, vue de la Salle des conférences de l'Assemblée nationale (France).

Cet article a initialement été publié le 30 août 2024 sur ma page LinkedIn.

Quel est votre siège, votre fauteuil idéal ? A-t-il des accoudoirs ? Un appui tête ? Est-il moderne ou ancien ? Rembourré peut-être ? Ou bien préférez-vous les tabourets ? Comment s'inscrit-il dans l'espace ? Avec quels sièges le voyez-vous et comment partager cet espace avec les autres êtres qui nous entourent ? Et comment ces sièges participent à nos échanges ?

C'est la question qui sera posée lors d'un événement prévu à l'Institut des Futurs de l'Université d'Édimbourg (Edinburgh Futures Institute) en novembre prochain et qui m'a fait réaliser à quel point le corps et l'espace qu'il occupe est souvent négligé dans les discussions sur la démocratie.

Mon corps a toujours été un sujet complexe pour moi. J'ai grandi rapidement et beaucoup et si je suis né grand, c'est à l'adolescence que cela s'est révélé le plus complexe (sur la carte d'identité que j'ai reçue à mes 10 ans, en sixième était inscrit 1m68 - contre 1m60 pour la courbe "haute" des carnets de santé à cet âge). Bien que grandir soit une expérience universelle, le sentiment de gêne et d'inconfort lié à ma taille n'est pas partagé par tous. Je me sentais encombrant, maladroit, ne sachant pas comment gérer mes membres disproportionnés qui semblaient toujours de trop. Et je ressens encore la douleur des "pics de croissance" le soir, dans mon lit. Cette croissance précoce a été, et reste encore aujourd'hui, une source de défis.

Même maintenant, l'idée de danser dans une foule me donne des sueurs froides, et prendre la parole en public nécessite une véritable préparation mentale. Ces expériences m'ont sensibilisé à l'importance du corps dans notre vie quotidienne et sociale.

Cette prise de conscience survient alors que nous sortons des festivals estivaux d'Édimbourg - du Fringe au Festival of Politics - et que nous entrons dans la période des Jeux Paralympiques, dont la magnifique cérémonie d'ouverture a célébré la diversité des corps humains.

Au-delà de la posture, des douleurs ou de l'espace occupé, un élément en particulier a toujours été central dans mon expérience : le siège. La pandémie nous a tous fait prendre conscience de l'importance de nos chaises de bureau, mais pour moi, cette relation avec les sièges a toujours été plus profonde et plus complexe.

Que ce soit au théâtre, où mes genoux se coincent inconfortablement entre les dossiers, ou dans un avion où l'espace entre les sièges - ces fameux 72, 74 ou 76 cm désormais précisés à l'achat comme un luxe - est un défi constant. Le moindre mouvement du passager devant moi menace d'écraser mes jambes, surtout quand je n'ai pas la chance d'avoir une place "couloir". Se retrouver coincé au milieu d'un vol entre deux hommes au profil de rugbymen en siège "E" ou "B" des 2 fois 3 places d'un avion est une expérience particulièrement inconfortable.

Ces moments me rappellent aussi, de manière inattendue, la "couvade" que j'ai expérimentée lors de la naissance de mon premier enfant. Même presque trois ans après, je ressens encore les effets de cette expérience unique, amplifiés par l'étroitesse des sièges. Je ne peux m'empêcher de sourire en pensant que mon amour pour la bonne chère et les moments conviviaux avec mes amis et ma famille l'emportent souvent sur mes visites à la salle de sport.

Mais les sièges ne sont pas que sources d'inconfort. Ils sont aussi des symboles de pouvoir et de prestige : le fauteuil d'académicien, dont le nouvel impétrant fait un éloge dans son discours de réception, ou encore le perchoir de l'Assemblée nationale, d'où le président dirige les débats. Ils peuvent être des outils essentiels : le siège du pilote de course ou d'avion, la selle de cheval. Ils peuvent même être au cœur de moments historiques, comme lors d'un couronnement royal où le nouveau monarque doit tenir les insignes du pouvoir tout en restant dignement assis.

J'ai eu le privilège de m'asseoir dans les larges fauteuils de la Salle des conférences de l'Assemblée nationale , si spacieux qu'on dit qu'ils peuvent accueillir une personne lisant un journal déplié. J'ai aussi admiré les "fenêtres de réflexion" du The Scottish Parliament, conçues comme des ouvertures vers l'avenir lors de sa réouverture en 1999 (bien que le bâtiment n'ait été achevé qu'en 2004). L'idée est que ces sièges peuvent être des endroits de repos, de contemplation, de rêverie et même de projection vers un futur meilleur.

Cependant, l'importance des sièges et de l'accessibilité dans nos institutions démocratiques a été brutalement mise en lumière en 2022, lors de l'élection du premier député de façon permanente en fauteuil roulant à l'Assemblée nationale française, Sébastien Peytavie. Les complications auxquelles il fait face - l'impossibilité de monter à la tribune, accessible uniquement par escalier, que ce soit pour prononcer un discours ou pour voter lors de l'élection des présidents de l'Assemblée nationale - soulignent à quel point nos espaces démocratiques sont encore loin d'être véritablement inclusifs. Si cette situation met en évidence la nécessité urgente d'adapter nos institutions et monuments pour qu'ils reflètent réellement la diversité de notre société, il est important de noter qu'il a mené un combat avec succès depuis son élection en 2022 et que certaines dispositions ont été prises pour améliorer l'accessibilité de l'hémicycle et des bâtiments. Il reste beaucoup à faire dans notre pays où on semble parfois privilégier l'historicité des bâtiments à leur inscription dans le réel, dans le présent.

En fin de compte, que nous nous asseyions, nous nous affalions ou nous nous posions, les sièges jouent un rôle crucial dans nos vies. Ils influencent notre confort, notre posture, notre statut et même notre façon de penser et de gouverner. Il est temps de reconnaître pleinement leur importance dans notre société et nos institutions démocratiques, et de travailler à rendre les espaces accessibles à tous, quelles que soient nos différences.

Précédent
Précédent

[Article LinkedIn] Repenser nos territoires : un impératif pour une transition écologique et sociale réussie

Suivant
Suivant

[Article LinkedIn] Les “Français établis hors de France” et la démocratie française