[Article LinkedIn] Repenser nos territoires : un impératif pour une transition écologique et sociale réussie

Vue de Nice depuis la colline de Cimiez au coucher de soleil

Cet article a été publié en premier lieu le 13 septembre 2024 sur ma page LinkedIn.

Avant de plonger dans mon expérience personnelle, je tiens à souligner un point crucial : il est impossible de penser les enjeux ruraux, urbains ou périurbains de manière isolée. Notre société et nos territoires forment un tout interconnecté, du plus petit village au cœur des métropoles. Les défis que nous rencontrons - qu'il s'agisse du dépeuplement rural, des déserts médicaux, de la gentrification des centres-villes ou des difficultés des banlieues - ne peuvent être relevés qu'en adoptant une vision globale et cohérente de nos territoires. Cette approche est essentielle pour éviter les clichés et les préjugés, et pour développer des solutions qui bénéficient à tous.

C'est avec cette perspective en tête que je souhaite partager mon expérience et mes réflexions sur la transition écologique et sociale en France et la nécessité de rassembler les acteurs pour poser les fondements essentiels du dialogue entre les territoires et leurs citoyens, dans la perspective d’affronter ensemble les évolutions de notre société, plutôt que de créer des semblants de grand affrontement, du “tous contre tous”.

Je suis né et j'ai grandi, puis vécu, dans de grandes métropoles (Nice, Rennes, Paris, Édimbourg). Pourtant, comme de nombreux Français, j'ai un lien fort avec le monde rural. Ma famille comptait des agriculteurs en Provence, notamment un arrière-grand-père russe et devenu français, apiculteur. Mes grands-parents maternels vivaient dans l'arrière-pays cannois et je passais mes vacances dans leur petit appartement à Tende ou sur le terrain qu’ils avaient acquis au bord de la Roya, à la frontière italienne - barbecue, cabanon pour la sieste et douche solaire- tout l’idéal bucolique concentré en un lieu. Et en tant que méditerranéen, la bonne chère occupe évidemment une place importante dans ma vie, et même si je cède parfois aux burgers et à la junk food américaine, les mezzes, taboulés et autres légumes farcis ou beignets de courgettes (et de fleur) sont toute mon enfance.

Mon parcours professionnel m'a conduit, un peu par hasard, à me spécialiser sur les questions agricoles, alimentaires et de consommation. J'ai travaillé avec des députés du Grand-Ouest (Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique) et comme conseiller économique au groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Il y a dix ans, j'ai même passé six mois à travailler sur un rapport sur la fiscalité agricole. Mon passage au Groupe Caisse des Dépôts en pleine constitution de la Banque des territoires et au travers du partenariat tissé avec La Poste a été le prolongement logique de cette approche territoriale qui me paraissait déjà naturelle mais qui n’était pas toujours consciente.

Ces expériences m'ont permis de mieux comprendre que les enjeux ruraux, périurbains et urbains sont profondément liés. La crise agricole récente en est une parfaite illustration. Elle révèle les tensions entre un système alimentaire sous pression et les impératifs de transition écologique, tout en mettant en lumière les interdépendances entre producteurs ruraux et consommateurs urbains. Mais évidemment, quand on parle de ce mouvement social, qui fait suite aux mouvements des Bonnets rouges ou des Gilets jaunes, sans oublier le mouvement des Poussins, le mouvement des blouses blanches et ceux des banlieues, et tous les autres, il faut garder à l’esprit les tensions que rencontre notre société et la difficulté d’établir des solutions nationales dans un monde globalisé. Les solidarités ne sont vraiment plus évidentes et, bien souvent, les personnes impliquées dans ces mouvements, désespérées et déterminées à obtenir leurs revendications, oublient les liens qui existent entre leurs maux et ceux des mouvements parallèles ou successifs. Ces tensions dans la société, transcatégoriels, sont au coeur du combat syndical et, comme on a pu le voir lors du mouvement contre la réforme des retraites, l’union de l’intersyndicale, de Laurent Berger (CFDT) à Philippe Martinez (CGT) a permis un rassemblement, qui s’il n’a pas été fructueux immédiatement, a redonné envie de politique aux Français, présageant probablement le regain démocratique que l’on a perçu lors des dernières élections (que l’on soutienne ou pas les résultats généraux et les scores de chaque bloc).

Le contexte actuel, entre crise économique et climatique, met à rude épreuve notre système social et alimentaire. Il presse tant les producteurs agricoles que les consommateurs, en ne proposant que peu d'aliments de qualité à un prix raisonnable. Cette situation nous oblige à repenser nos modèles de production et de consommation à l'échelle de l'ensemble de nos territoires. Il oblige à repenser les relations entre les territoires et, de ce fait, les relations entre les citoyens qui les habitent. Le dernier livre d’entretiens entre Laurent Berger et Jean Viard aux Éditions de l'Aube, “Pour une société du compromis”, aborde largement ces tensions de notre société.

Ces mouvements sociaux successifs, dont le dernier est le mouvement agricole de 2024 ont révélé plusieurs défis majeurs :

  1. La diversité de nos territoires : Les revendications variées ont montré que la France n'est pas un bloc monolithique. Les besoins d'un éleveur en Occitanie diffèrent de ceux d'un céréalier en Île-de-France, tout comme ceux d'un habitant de banlieue ou d'un centre-ville. La déchéance des services publics, malgré la constitution cette dernière décennies des Maisons de Services au Public, devenues les Maisons France Services, la fuite des médecins généralistes comme spécialistes et des maternités et hôpitaux de proximité, sont tous des gifles ressenties durement par ces Français dont les impôts ne sont pas inférieurs (parfois supérieurs) à ceux des habitants du centre de Paris ou de Rennes.

  2. La tension entre économie et écologie : Cette tension traverse l'ensemble de nos territoires, des campagnes aux villes. « Retraites, climat, même combat ! » « Pas de retraité·es sur une planète brûlée ! » : le fameux “fin du mois contre fin du monde”, illustré aussi brillamment que ludiquement par « MC danse pour le climat » qui danse pendant le mouvement contre la réforme des retraites sur le tube « Planète Brûlée » de RemRemX, co-compositeur et DJ au sein d’ Alternatiba.

  3. Le besoin de dialogue : Le mouvement a révélé un besoin criant de dialogue entre tous les acteurs de notre société, au-delà des clivages géographiques traditionnels. La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), même si ses conclusions n’ont pas été entièrement suivies, a permis de rassembler des citoyens issus d’horizons divers et de produire un consensus largement accepté, au-delà justement des différences d’origines et de milieu de vie.

  4. L'évolution du paysage politique : La montée en popularité de Marine Tondelier, cheffe du parti écologiste, notamment sur les thématiques de lutte contre l'extrême droite, malgré l’échec de son parti aux élections européennes montre le paradoxe de la situation politique de notre pays. Par ailleurs, l'arrivée au pouvoir de Michel Barnier, pourtant issu d’un parti largement minoritaire (seulement une cinquantaine de députés sur 577) mais fort de son expérience en tant que commissaire européen à l'agriculture et ministre de l'agriculture et de l'environnement, pourrait apporter une nouvelle perspective sur les enjeux essentiels qui traversent notre pays et notre continent. S’il arrive à abandonner une partie de son bagage politique, très conservateur, et que certaines femmes et hommes de gauche, sans renier leurs idées ni alliances, arrivent à travailler au consensus, il pourrait se produire, sur des domaines précis et nécessairement restreints, des avancées positives.

  5. La nécessité d'une approche inclusive : Il est crucial d'impliquer tous les acteurs - agriculteurs, consommateurs, pouvoirs publics, entreprises - dans la transition écologique, quelle que soit leur localisation géographique. A ce titre-là, les corps constitués ont un rôle essentiel à jouer, et les nouveaux acteurs, que ce soit Destin Commun, Nuances d’avenir, l’Institut Terram, comme les plus installés, Fondation Jean-Jaurès ou Futuribles International, devront être mobilisés, tant pour penser l’avenir que pour aider la société à s’envisager de nouveau. Comme la Red Team Défense, chargée de challenger le Ministère des Armées sur les risques stratégiques et militaires de demain, pourquoi ne pas aller plus loin que les initiatives existantes en développant un modèle de challenge de la société, dans le prolongement du travail produit par France Strategie ? Cela pourrait être à l’image du Edinburgh Futures Institute (site internet) de l’Université d’Edimbourg, un rassemblement d’institutions, de chercheurs, de professionnels qui pensent l’avenir, les possibles et évaluent les politiques publiques existantes pour aider à les orienter dans un sens positif pour notre société.

  6. L'émergence de nouvelles initiatives pour le dialogue territorial : Le débat sur l'écologie dans le monde rural et agricole s'enrichit de nouvelles voix. L'association Nuances d'Avenir (site internet), par exemple, œuvre pour favoriser le dialogue entre tous les acteurs du territoire. Dans cette lignée, j'ai récemment signé une tribune initiée par Rémi Branco, vice-président chargé de l'Agriculture du Conseil départemental du Lot et ancien chef de cabinet de Stéphane Le Foll au Ministère de l’Agriculture. Cette initiative, "L'appel des territoires", vise à reconnecter la gauche avec les réalités rurales et à construire un nouveau récit commun entre villes et campagnes. Par ailleurs, le jeune Institut Terram (site internet) apporte une contribution précieuse à la réflexion sur les enjeux territoriaux, en proposant une approche multidisciplinaire et innovante. Il faudra poursuivre les initiatives en les rendant concrètes à nouveau : redonner des communs, des camps de vacances pour les jeunes, des échanges de logements entre urbains et ruraux, du dialogue social mais aussi territorial. Si le service militaire n’est plus la solution et que le Service national universel (SNU) a été pris par le mauvais bout de la lorgnette, il est essentiel, avec la chute de toutes les grandes institutions sociales (églises, partis, etc.) de retrouver des lieux et des façons de vivre en commun. Cela ne passera probablement pas par de grandes unités de vie, mais en reconstituant des cercles de vie, à l’image de ce que la vie durant les confinements Covid ont provoqué : groupes d’entraide dans les immeubles/résidences, recherche de ventes directes et de proximité, etc.

  7. L'importance de l'histoire récente des mouvements sociaux : Il est crucial de garder à l'esprit les mouvements sociaux récents qui ont marqué nos territoires, tels que les Bonnets rouges en Bretagne et les Gilets Jaunes à l'échelle nationale. Ces mobilisations, ainsi que les cahiers de doléances qui en ont découlé, constituent un patrimoine d'expressions citoyennes encore largement inexploité. Leur analyse approfondie pourrait apporter un éclairage précieux sur les aspirations et les frustrations qui traversent nos campagnes, nos villes moyennes et nos banlieues.

Face à ces défis, plusieurs pistes d'action émergent, qui doivent être pensées de manière transversale pour l'ensemble de nos territoires :

  1. L'éducation et la formation : Renforcer la compréhension des enjeux environnementaux et territoriaux à tous les niveaux de la société.

  2. L'action territoriale coordonnée : Développer des solutions adaptées aux réalités locales, tout en assurant une cohérence à l'échelle nationale.

  3. L'innovation inclusive : Encourager l'innovation dans tous les domaines, en veillant à ce qu'elle bénéficie à l'ensemble des territoires.

  4. La justice sociale et territoriale : Assurer un développement équilibré de tous nos espaces de vie, qu'ils soient ruraux, périurbains ou urbains.

En conclusion, la transition écologique et sociale de la France ne pourra se faire sans une compréhension fine des réalités de tous nos territoires et une implication de tous les acteurs. Les récentes initiatives montrent une prise de conscience croissante de cet enjeu.

En tant que citoyen ayant vécu cette diversité territoriale, je suis convaincu que nous avons tous un rôle à jouer dans cette transition. Cela passe par nos choix de consommation, notre engagement citoyen, et notre capacité à dialoguer et à comprendre les réalités diverses de notre pays, au-delà des clichés.

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